Affaire Achbita : retour à la case départ ?

14 Octobre 2020
Domaine d'action: Emploi
Critère de discrimination: Convictions religieuses ou philosophiques

La Cour du travail de Gand a rendu ce 12 octobre un arrêt dans l’affaire Samira Achbita, licenciée il y a 14 ans par l’entreprise G4S parce qu’elle souhaitait porter un foulard dans le cadre de sa fonction de réceptionniste. La Cour conclut à présent qu'il n'y a pas discrimination parce que les musulmanes qui souhaitent porter le foulard ne seraient pas plus désavantagées que les autres employé·e·s par une politique de neutralité.

    La Cour a également estimé que G4S ne devait pas non plus examiner des alternatives telles qu'une mutation vers une fonction sans contact avec les clients ou le port d’un couvre-chef neutre. "Cet arrêt méconnaît le délicat exercice d'équilibre que la Cour de justice de l'Union européenne avait déjà effectué dans cette affaire", réagit Patrick Charlier, directeur d'Unia, qui était partie à la cause.

    À quelles conditions une entreprise privée peut-elle mener une politique de neutralité en matière de convictions religieuses et philosophiques ? C’est la question au cœur de cette affaire. En 2017, la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà été saisie de cette affaire, qui mettait en balance la liberté de culte et la liberté d’entreprise. La Cour de justice de l’Union européenne avait estimé que les entreprises pouvaient mener une politique de neutralité si celle-ci est appliquée de manière cohérente et systématique à toutes les convictions qu’elles soient religieuses, philosophiques ou politiques. Cependant, la neutralité doit se limiter aux fonctions qui impliquent un "contact visuel avec les clients". Parce que la neutralité peut avoir pour effet de limiter les droits fondamentaux des travailleur·euse·s, elle ne doit pas non plus aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que les clients aient cette impression de neutralité.  

    Cet arrêt de la Cour de justice était un arrêt de principe. Dans la présente affaire, la Cour du travail de Gand devait encore examiner si la politique de neutralité de G4S n’affectait pas de manière désavantageuse les musulmanes désireuses de porter le foulard. En outre, la Cour du travail devait également examiner s’il y avait nécessité de licencier Madame Achbita pour garantir la neutralité vis-à-vis des clients, sans lui proposer au préalable une fonction alternative, compte tenu cependant des limites organisationnelles propres à l'entreprise et sans que cela constitue une charge financière supplémentaire.  

    "Nous avons estimé que la neutralité vis-à-vis des clients pouvait également être garantie par d’autres voies", explique Patrick Charlier. "Ainsi, une entreprise peut introduire un couvre-chef neutre assorti à l'uniforme. Il est également possible d’affecter une employée à un poste en back-office, pour autant que des emplois y soient disponibles".  

    Comment ce dossier s’est-il constitué ?

    Samira Achbita a commencé à porter un foulard islamique en 2006. A ce moment-là, l’intéressée travaillait auprès de la société de gardiennage G4S, et donnait entière satisfaction. Aux yeux de G4S, le port d’un foulard n’était pas conciliable avec une “politique de neutralité non écrite” et avec l’uniforme d’entreprise d’une réceptionniste. Unia a essayé sans succès de trouver par le dialogue des solutions de compromis. L’entreprise ayant adopté une position de principe sur cette question, il n'a pas été possible de trouver une solution. Samira Achbita a dès lors été licenciée par G4S.

    Unia s’est tourné en 2009 vers le tribunal du travail d'Anvers. L'affaire est ensuite passée à la Cour d’appel d'Anvers, à la Cour de Cassation, puis à la Cour de justice de l’Union européenne, pour arriver aujourd'hui devant la Cour du travail de Gand. Lisez la chronologie complète ici.  

    Un reflet de la société

    De plus en plus d'entreprises accueillent la diversité dans notre société et œuvrent à une politique de diversité inclusive. C'est encourageant. Cela signifie que chacun, indépendamment de son origine, de son appartenance et de ses convictions religieuses et philosophiques, trouve dans le respect mutuel sa place sur le lieu de travail. Pour les entreprises qui souhaitent néanmoins mener une politique de neutralité, la limite est désormais claire. Sur la base de la jurisprudence des plus hautes juridictions, nous savons maintenant que le principe de neutralité ne s'applique pas aux employé·e·s qui n'ont pas de contact visuel avec les clients, comme par exemple dans les postes de back-office, et que des alternatives doivent toujours être envisagées. 

    En outre, il est économiquement plus intéressant pour les entreprises que la composition de leur personnel puisse refléter la clientèle, en étant autant que possible attentifs au bien-être de leurs travailleurs. Il est également important pour les autorités publiques, qui visent un taux d'emploi de 80 %, de supprimer autant d'obstacles à l'emploi que possible.

    La position d'Unia repose sur le respect des droits et libertés fondamentaux et (de porter ou non un signe convictionnel - quelle que soit la fonction exercée). Une politique de neutralité inclusive doit également garantir que celles et ceux qui ne souhaitent pas porter de signes religieux (ou d’entretenir des pratiques religieuses) soient protégé·e·s. A partir de cette vision, Unia s'efforce de créer une société inclusive dans laquelle chacun se voit offrir un maximum de possibilités de participer à la vie sociale. 

    Unia est régulièrement interrogé à propos du thème de la diversité religieuse. Nous remarquons qu’il y a un besoin d’information accessible et objective à ce sujet ; nous avons donc ajouté de nouvelles pages relatives à ce thème sur notre site web.

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